Citoyens

par la Loge Les Trois Temples
à l'Orient de Carouge

 

En préambule à ce travail sur la citoyenneté - de synthèse plus que de compilation, car ambitionnant d'être plus fidèle à l'esprit qu'à la lettre -, il convient de relever que pas moins de 12 FF∴ de notre Atelier ont contribué par leurs écrits à la réflexion sur le sujet. En cela, ils n'ont fait qu'accomplir un des devoirs du Maçon : celui d'apporter sa pierre personnelle à l'édification du Temple universel.

Si les Etats démocratiques font des citoyens des ayant-droits, dans une juste contrepartie, ceux-ci sont aussi des ayant-devoirs, qui ont l'obligation de contribuer à l'exacte et équitable hauteur de leurs moyens financiers au fonctionnement de la collectivité. Ils se doivent tout autant d'aller voter et élire leurs représentants.

A vrai dire, il n'y a pas des citoyens, seuls chacun sur son île individuelle, mais bien plutôt des concitoyens qui partagent un destin commun et oeuvrent ensemble au bien de la cité. Chacun d'entre nous se trouve sis au centre d'un ensemble de cercles concentriques englobant toujours plus de personnes en proportion de leur pourtour.

Le premier cercle est celui de la famille. Premier dans le cours de la vie et le plus proche de soi. C'est le lieu primordiale de la sociabilité, de l'apprentissage de la vie à plusieurs. Comme un F∴ le relève, le bon parent - comme le bon conjoint - prépare le/la futur-e bon-ne citoyen-ne. Mais la modernité a affaibli la puissance paternel, l'autorité parentale. Le pater familias, le chef de famille, doit partager son pouvoir avec la mère. La tendance est à toujours moins de contrainte et plus d'indépendance de l'enfant dans sa famille. Notre société individualiste facilite le divorce, le contrat de mariage se calquant de plus en plus sur le modèle des contrats commerciaux avec clause de résiliation rapide. La famille se monoparentélise, après s'être nucléarisée. En sus de la conjugalité, c'est aussi la filiation qui s'effiloche. A quand des frères et soeurs de mêmes père et mère ne portant plus le même nom de famille ?

Être bon citoyen, c'est d'abord être en bon terme avec ses proches, son voisinage, c'est ensuite prendre une part active à la vie associative qui fait beaucoup de la richesse du tissu social. A contrario, être mauvais citoyen, c'est être un égoïste profiteur du système et abuseur du bien commun, troubleur de l'ordre public, pollueur et souilleur des espaces urbain et naturel; c'est être irrespectueux des lois juridiques et morales, inconscient de la nécessité collective, dédaigneux de l'intérêt général, irresponsable envers ses contemporains et les futures générations, irrévérencieux à l'égard de ses aînés et de ses ancêtres. négligeant l'avenir de ses proches et le futur de l'humanité pour jouir de l'instant présent.

Comment réprimer son comportement anti-social ? Comment lutter contre sa passivité de téléspectateur ? Comment réduire son abstentionnisme comme électeur et comme votant ? Comment aussi soigner sa crise de confiance envers nos institutions ? Comment diminuer sa perplexité face à la complexité du monde actuel ? Comment faire taire en soi les discours d'impuissance à résoudre les grands problèmes de la société et de l'humanité toute entière ? Comment calmer sa convoitise de consommateur, sa frénésie consommatrice ?

Sans doute, entre autres choses, en s'encourageant à sortir de sa douillette chacunière pour s'engager en temps et en argent dans l'espace associatif où l'on échange convivialement, amicalement, voire fraternellement. On peut y trouver des lieux de transmission entre générations, de tradition, d'espérance en une vie meilleure, de résistance contre la désinformation, la manipulation, l'oppression, l'aliénation sous toutes leurs formes.

L'un de ces lieux privilégiés n'est-il pas justement notre bonne vieille Loge ? Et plus largement notre ordre héritier des confréries et corporations anciennes ? Ne rassemble-t-il pas ancêtres et vivants, aînés et jeunes, manuels et intellectuels, petites gens et gens aisés, citadins et campagnards, gens de toutes confessions et religions, d'un large éventail de sensibilités politiques et de toute origine ethnique ?

Sans faire de politique partisane dans le Temple - la Loge n'est-elle pas un espace de débat et de non-combat ? -, la Maçonnerie pousse à l'action civique et citoyenne hors de ses murs. Elle vise par son école mutuelle à transformer le F∴ en un «consommacteur» responsable et un « spectacteur » conscient. Elle est un espace de célébration de la trinité républicaine Liberté - Egalité - Fraternité auquel le monde profane préfère lui substituer celle de Mobilité - Relativité - Sécurité. Elle exhorte ses membres à s'impliquer au-delà de la participation électorale dans la vie de la cité. Il est bon de se souvenir que dans le testament philosophique que tout F∴ a rempli, le candidat se voit prier de réfléchir sur ses devoirs envers lui-même, la famille et la patrie. C'est un société de pensée qui invite à l'action. C'est un de ses tiers-lieux entre des individus de plus en plus isolés et une société de plus en plus abstraite et lointaine, où repenser le lien aux autres et à la collectivité. Notre Ordre, encore, - par sa vocation caritative- oppose au pouvoir d'achat profane le devoir maçonnique du don.

Face à un monde de plus en plus liquide, virtuel, instantané, éphémère - pensons à Internet -, mobile - sans-fil - où tout est en libre-service, où le service au pays - militaire ou autre - se réduit comme peau de chagrin, où le néolibéralisme pousse à toujours moins d'État et à plus de profit immédiat, la Loge reste un oasis préservé. Cependant, son écosystème est menacé par un absentéisme grandissant, des essaimages sauvages et un individualisme fort séculier croissant, que résume bien par la fameuse parole « Je suis un maçon libre dans une loge libre ».

Comme le F∴-M∴ a conscience de faire partie d'une Loge, d'un Orient, d'un Grand-Orient, d'un Ordre universel oeuvrant dans un même idéal, le F∴ des Trois Temples a aussi le sentiment de faire partie d'une commune, d'un canton, d'une confédération, d'un continent, d'une communauté mondiale des nations, ayant une destinée commune, il est autant citoyen de sa commune que du monde.

Pour conclure en une phrase, la Loge est un lieu qui doit nous donner des racines - grâce à sa tradition pluriséculaire - et des ailes aussi - nos travaux ne se déroulent-ils pas sous la voûte étoilée ? - pour aller « citoyenner » dans la Cité avec force et vigueur.

F∴ Reu∴, le 24.02.6005.